« La rue » n°30

Edito

Une rue bordée de maisons, c’est le dehors ; une habitation, un appartement ou un intérieur donnant sur la rue, c’est le dedans… Sauf, bien sûr, pour celui qui n’a pas de toit et doit manger et dormir n’importe où…Et pas davantage pour celui qui doit rester enfermé et cloué chez lui, interdit de sortir par la maladie ou par toute autre forme d’isolement. Pour l’un comme pour l’autre, il n’y a ni dehors ni dedans. Tout est pareil !

 Une frontière sert en général de séparation entre deux pays ; elle signifie pour eux qu’il y a, inversés, deux dehors et deux dedans. Mais une frontière ouverte accorde volontiers un droit de passage à l’étranger et s’interdit de le lui refuser avec un mur de béton ou un rideau de fils de fer barbelés. 

Un bon espace combine à la fois le dehors et le dedans. Il les articule sans les confondre. Sans les mélanger n’importe comment. Quand l’intérieur est verrouillé, c’est une prison, une cage, un cachot, un réduit. Un asile. Mais un extérieur sans abri, c’est un campement, un terrain vague, une zone, un désert…

S’il ne faut pas mêler le dehors et le dedans et même s’il faut les articuler, c’est pour faire circuler un peu de dehors dans l’enclos fermé du dedans et quelque chose de personnel là où tout le monde peut passer. La rue apporte de l’air et du nouveau ; la maison reste un repère précieux pour l’intimité, pour le privé, pour l’amour ou pour le sommeil ; elle est bien utile aussi pour la rencontre et pour l’accueil.

 Il est donc nécessaire d’avoir chez soi une porte solide qui ferme bien mais qui reste facile à ouvrir : elle est à la fois une clôture et un passage ; il faut aussi avoir de bonnes fenêtres qui puissent isoler mais aussi donner à voir dehors quand on le veut ; il faut également garder chez soi une place libre pour l’hôte imprévu ou pour l’invité afin que celui-ci ne se trouve pas indésirable et puisse redevenir un passant dès qu’il le voudra.

 Pour bien vivre, on doit à la fois savoir habiter et savoir sortir, avoir une maison ouverte sur la rue, une chambre à soi et une chambre d’ami ; un lieu privé et un lieu ouvert pour ceux qu’on a choisi d’accueillir. Il faut donc savoir entrer et savoir sortir. Dans la rue on se croise trop souvent en s’évitant du regard. Elle est pourtant l’endroit où se font de merveilleuses rencontres… quand on se décide à ouvrir les yeux. 

Yves Gouget, Père mariste

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