Edito
Vulnus, en latin, désigne la blessure. Vulnérable renvoie à la possibilité d’être blessé parce que sans défense, à la fragilité, la précarité. L’espèce humaine a ceci de particulier qu’elle est au commencement l’une des plus vulnérables de la Création.
Paradoxe, penserez-vous, quand on voit les dégâts qu’elle est capable d’infliger à la planète qui l’abrite, aux autres espèces qui la peuplent comme à ses propres congénères. L’homme ne serait-il qu’un loup pour l’homme ? un agresseur potentiel pour toute proie vulnérable ?
Le petit d’homme entre pourtant dans le monde nu et livré aux mains de ceux qui prendront soin de lui. Sans ces soins d’adultes aimants jusqu’à un âge avancé, sa vie ne serait pas. Dès le commencement, le Créateur nous confie les uns aux autres. Seuls, nous sommes en danger. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » dit la Genèse, même si cette parole apparaît dans un autre contexte. Danger de mort pour le nouveau-né, mais danger aussi d’endurcissement pour tous avec le temps.
La vulnérabilité nous évangélise quand elle nous fait sortir de nous-mêmes et ouvre notre cœur à la tendresse devant la fragilité de l’autre. Pensons au Bon Samaritain de la parabole. Elle nous évangélise encore quand elle éveille notre conscience à notre propre fragilité, au consentement à nos faiblesses et à notre besoin d’autrui. Parfois elle nous arrive par une blessure inattendue, une maladie qui vient faire brèche et nous rappeler notre condition originelle. Le grand âge, avec son caractère inéluctable, nous fait également signe à l’horizon.
Notre vulnérabilité nous invite à un renversement : la maîtrise après laquelle nous courons, inquiets et blessés, n’est pas ce qui nous donnera la paix. Partout dans le monde, on accumule aujourd’hui sécurités, protections, entrepôts de réserves et anticipations. Inquiétude et défiance ne diminuent pas pour autant. Bien au contraire. Qui alors nous fera voir le bonheur ? Les plus fragiles et inadaptés nous montrent souvent ce secret.
Oui, notre vie est précaire, risquée, incertaine. La vulnérabilité nous renvoie à notre condition de petit enfant dépendant de la bonté des adultes. Incapable de faire par lui-même, il doit recevoir d’un autre. Recevoir d’abord. Apprendre plutôt que prendre, recevoir plutôt que s’emparer. La vulnérabilité nous ouvre à l’accueil du don que Dieu veut nous faire. Le Royaume est là, tout proche. Ses biens sont débordants. Marie nous montre le chemin : le Seigneur s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges la disent bienheureuse. « Il renverse les puissants de leur trône, Il élève les humbles. » En ces jours qui nous rapprochent de Pâques, rappelons-nous le grand renversement : pour relever les hommes du péché de toute-puissance, Dieu, par son Fils, s’est livré entre nos mains comme un agneau.
Alexandra Yannicopoulos-Boulet, laïque mariste