Le temps est notre espace – n°45

Edito

Le titre retenu pour ce thème sur nos rapports au temps peut paraître énigmatique. Il se veut un écho au principe du pape François « Le temps est supérieur à l’espace* ».

Si le pape insiste sur l’importance « d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces », en particulier pour la pastorale de l’Église, il y a bien, pour chacun de nous et pour chaque communauté humaine, une forme de déploiement et d’habitation du temps. Un temps que nul ne possède, mais que l’on peut habiter et sur lequel on peut veiller.

« Marie gardait toutes ces choses dans son cœur » nous dit l’évangile de Luc. Tous les éducateurs, qu’ils soient parents, enseignants ou accompagnateurs spirituels, savent le lien entre temps et mémoire, assimilation, intégration. Ils connaissent d’expérience la marche invisible des maturations, l’importance de son respect et de son accompagnement. Ils savent aussi le rôle du corps, réceptacle et acteur de ce temps qui passe, consentement à son œuvre.

Face à la fragmentation et la vitesse contemporaines, il y a le temps long, lent, patient, l’enracinement, l’unification, la fructification. La sagesse biblique nous rappelle qu’il y a un temps pour tout. Heureuse confirmation : tout peut donc être vécu. Mais elle nous dit aussi qu’il y a des rythmes, des saisons, un tempo du vivant et de la relation à Dieu, sans quoi le temps devient chaotique. Tout peut être vécu, mais pas dans tous les sens n’importe comment. Chaque chose en son temps et chaque chose en vue de sa finalité : l’accomplissement d’une vie donnée.

Le temps biblique, qui « s’étend d’âge en âge » dit le Magnificat de Marie, est celui d’une histoire d’amour, d’alliance et de salut entre Dieu Créateur et les hommes. S’il y est question de commencement et de fins dernières, il est tissé de part en part de « maintenant », « aujourd’hui », « aussitôt », et ce jusqu’au « temps favorable » du Nouveau Testament, le fameux kaïros qui fait entrer dans la vie trinitaire.

La Bible témoigne ainsi d’un temps éternel intensément actif dans le présent, dans la présence à Dieu de chacune de ses créatures à tout instant, ce que Jésus nomme le Royaume. Elle nous dit aussi qu’il y a une forme d’urgence du temps de Dieu. Sa fidélité vive et éternelle appelle de chacun une réponse d’amour libre, puis une mise en œuvre sans délai, presque empressée. Pensons à Marie après l’Annonciation, une fois son oui prononcé : « … Alors l’ange la quitta. En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse… » Le temps est notre espace, oui, et il ne manque pas de montagnes à gravir et d’Élisabeth à visiter !

Alexandra Yannicopoulos-Boulet, laïque mariste

 

* Ce principe est présent dans La joie de l’évangile (§ 22, 223, 225), dans Laudato Si (§ 178), dans Amoris Laetitia (§ 261), et dans bien d’autres interventions. Il a donné lieu à de nombreux commentaires. Cf p 4-5 de ce numéro de Regards Maristes.

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